Les effets de la pandémie ont eu d’accroître l’importance du collectif. Sur toutes les pages de recrutement, le collectif est devenu l’une des valeurs clé pour attirer les nouvelles recrues.
Pourquoi ce regain d’intérêt et surtout cette urgence de lui redonner du sens ? L’avons-nous perdu ou plutôt l’avons-nous déjà trouvé un jour ? Au fond, qu’est-ce que le collectif ? Quelle est son histoire dans le monde du travail ? Autant de questions qui nous ont paru intéressantes pour comprendre où nous en sommes et surtout comment parvenir à recréer un et non du collectif.
Le collectif, qu’est-ce que c’est ?
Dans l’émission « Le journal de la philo » de France Culture, Géraldine Mosna-Savoye, s’interroge sur cette notion du collectif. Elle commence par le définir par son synonyme « être ensemble » puis son antonyme « individualisme » : « quand le collectif évoque l’ouverture, l’empathie, la relation ; l’individuel nous enferme dans la solitude, le repli, l’égoïsme ». Elle nous interroge alors sur l’efficacité de cette définition : est-ce suffisant pour avoir le sentiment d’appartenir à un même groupe ? En entreprise, être ensemble suffit-il à former un collectif ?
Afin de répondre à cette dernière question, il faut remonter dans le temps. Grâce aux travaux de Camille Imhoff datant de 2017 intitulés « L’émergence de nouveaux collectifs de travail : ruptures et continuités dans l’Histoire de l’entreprise », nous pouvons constater les évolutions du terme collectif.
L’évolution du collectif au travail au fil des âges
Avant la révolution industrielle, le collectif se formait par métier selon des codes, des savoir-faire bien précis. Chaque métier s’échangeait les bonnes astuces et transmettait leurs connaissances aux générations suivantes.
Au XIXe siècle, le monde s’industrialise, les usines embauchent de plus en plus car les besoins en production ne cessent d’augmenter par la mécanisation des tâches. C’est ce fameux taylorisme qui devient l’organisation du travail privilégiée dans les usines. Chaque travailleur ne détient plus de connaissances spécifiques, seulement un statut. Le collectif n’est donc plus formé par métier mais par statut social. Toutes les méthodes de travail se tournent alors vers une optimisation de la production au détriment des conditions de travail des ouvriers faisant émerger cette nouvelle classe sociale. Karl Marx parle alors de coopération, c’est-à-dire une organisation où chacun travail côte-à-côte de façon organisée. Le collectif ici est donc bien synonyme « d’être ensemble » et non de « faire ensemble ». Or, comme le rappelle Jean-Daniel Raynaud en 1989, cité par Camille Imhoff : « un groupe social n’est pas uniquement un groupe de voisins, il est avant tout la poursuite d’une finalité commune ».
Nouveau tournant pour le collectif en 1929 lors du krach boursier de New York. Les entreprises, plus diversifiées et de grandes tailles, recherchent encore plus de profit. La machine infernale du capitalisme est lancée. Pour survivre, il faut produire en grande quantité et générer un maximum d’argent. Afin de répondre le plus rapidement aux exigences du marché et des clients, les principes managériaux doivent s’adapter pour pousser les salariés à satisfaire ces exigences et réaliser les objectifs. Elton Mayo étudie alors en 1933 les caractéristiques de la performance d’un groupe. Contre toutes attentes, les résultats indiquent qu’elle est liée en grande partie à la qualité des relations sociales dans un groupe et non plus seulement aux éléments matériels (conditions de travail, locaux, rémunération). Dans son étude, ce qui réunissait les ouvrières était le climat social qu’elles créaient dans lequel chacune se sentait reconnue, considérée et appartenir. Permettre à chacun de trouver sa place au sein de l’entreprise permet de garantir un bon niveau de production. La notion du collectif en entreprise prend alors tout son sens : le collectif est aussi synonyme de performance. Il faut assurer un bon climat social donnant envie de se lever chaque matin et d’affronter les embouteillages, les transports ou la pluie sur son vélo.
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis sont les grands vainqueurs et doivent participer à la relance de l’économie mondiale avec le plan Marshall. Ils commencent ainsi à diffuser leurs modèles managériaux basés sur les objectifs. Afin de soutenir la productivité, l’accent est mis sur la reconnaissance de l’individu au travail pour atteindre tous ses objectifs individuels et pousser la croissance de l’entreprise. Nouvelle phase pour le collectif où prime l’individualité en quête de réussite personnelle, de récompense, de mérite. Tout est fait pour que l’individualisme prime sur le collectif. Les logiques collectives sont peu à peu délaissées pour mettre au centre l’homme au travail, reconnu et responsabilisé. On pourrait ainsi parler d’un collectif individualisé. Le collectif se forme par le rassemblement en une même entité mais les aspirations sont purement individuelles. On pourrait alors se demander, peut-on former un collectif avec autant d’individualité ?
Le collectif en crise
L’hyper-modernité, à laquelle fait référence Gilles Lipovetsky dans son ouvrage « L’Ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain » de 1983, est marquée par une hyper-individualisation. La modernisation de la société a renforcé nos désirs individuels au travers d’une hyperconsommation. Grâce aux avancées technologiques, nous pouvons tout avoir, tout de suite.
À côté de cela, les entreprises ayant pris conscience que le collectif est leur moteur, mettent en avant des principes propres à la constitution d’une équipe sans y mettre le fond. En parallèle, les aspirations des générations évoluent vers plus de qualifications pour leur assurer une bonne évolution de carrière. Au lieu de rester 20 ans dans une même entreprise, ces générations aspirent à changer tous les 5 ans, ce qui met en péril la constitution d’un collectif.
Cerise sur le gâteau, la crise sanitaire ne simplifie pas la tâche puisqu’elle remet en question l’organisation d’un grand nombre d’entreprises, essentiellement du milieu tertiaire. Après des mois, voire une année en télétravail, beaucoup choisissent de conserver cette organisation à hauteur de deux jours par semaine. Le distanciel impacte alors le collectif dans sa vocation du « être ensemble ». Les repères physiques permettant d’instituer un collectif disparaissent pour laisser place à une pluralité des espaces dont l’un n’est pas partagé. Par le caractère virtuel des relations, le collectif ne peut plus vivre de la même manière. Entre autres, beaucoup de collaborateurs ne parviennent plus à trouver du sens à leur activité. Souvent pressurisés, non reconnus dans leur fonction ou épuisés, chacun vit cette pandémie différemment ; nouvelle caractéristique de notre individualité.
Malgré tout, la sociologie rappelle que les individus ont besoin d’un collectif pour s’entraider, trouver du sens, évoluer. Chacun aspire à des rencontres, à l’émergence de nouvelles relations, à la cohésion d’équipe. Nous sommes des êtres dépendants d’une société ; nous ne pouvons nous satisfaire seul. Peut-on alors parvenir à constituer un collectif fort tout en intégrant la pluralité des espaces et des profils de chacun ?
La diversité : clé du collectif
Camille Imhoff continue son étude en faisant référence au sociologue Émile Durkheim : « plus une personne est spécifique, différenciée et plus le lien qui la relie au collectif est fort ». Autrement dit, la diversité est la clé du collectif. C’est en intégrant les différences de chacun que l’on peut rendre le groupe d’autant plus puissant. La richesse des profils fait la force d’une équipe. Effectivement, ce qui permet d’unir un collectif est le fait d’avoir des compétences spécifiques propres à chacun que l’on ira chercher. Ainsi, chaque membre est interdépendant des autres.
Il est ainsi nécessaire que tout le monde puisse savoir quelles sont ses compétences clés, son rôle pour trouver sa place au sein de l’organisation. Le titre d’un poste ne suffit pas. Il faut passer par une conscience personnelle de notre rôle et de notre expertise et les faire connaître à tous comme caractères constitutifs de notre personnalité, définissant notre mission dans l’entreprise. Une fois cela spécifié et intégré, chacun est responsabilisé dans l’entreprise et développe par-dessus tout un réel sens d’appartenance. Par cette responsabilisation, la confiance permet d’être rétablie. Les collaborateurs alors valorisés et autonomes peuvent évoluer librement dans leurs tâches quotidiennes, être force de proposition pour contribuer ensemble à la croissance, si possible raisonnée, de l’entreprise.
Finalement, la constitution d’un collectif ne dépend donc pas d’un lieu. L’espace en est seulement l’enveloppe dans laquelle il est bon de pouvoir se retrouver pour favoriser des dialogues spontanés et informels, faciliter les rencontres, renforcer la cohésion d’équipe. Le collectif tient à la responsabilisation de chacun des membres reconnu et distingué par ses compétences humaines et professionnels propres dans le but d’aboutir à une œuvre commune. La constitution de ce collectif passe donc par un épanouissement personnel pour être maître de son expertise ; du dialogue pour connaître la contribution de chacun dans un domaine spécifique ainsi qu’une pleine conscience de la richesse apportée au groupe par tous, dans son individualité.
Sources :